En passant

Fragile, je découvre ma force

Par Mlle Samovar 

pleurs

J’ai vingt-six ans. Je viens de finir un master d’enseignement et de passer le dernier oral pour le concours de professorat des écoles, juste là, il y a deux jours.

C’est un peu con de passer un concours quand son principal défaut est la gestion du stress, non ? Pourtant, c’est exactement mon problème. Je gère très mal le stress, ça me rend mal physiquement. Le pire, c’est l’inconnu : le détour sur la route, le nouvel endroit, un échange avec de nouvelles personnes ou un prof, l’entretien d’embauche, l’oral noté, …  Le problème de mes deux dernières années, c’est que l’oral d’un concours, c’est un peu les trois dernières situations d’inconnus : l’échange avec le prof/la nouvelle personne, l’entretien d’embauche et l’oral noté. Trois causes de stress réunis en une seule.

 

Malheureusement, le concours de professorat des écoles impose trois épreuves orales, enfin deux, mais trois quand même puisque les épreuves d’EPS et de CSE (Connaissance du Système Educatif) s’enchaînent littéralement. Vus que c’est la deuxième année que je passe ce fichu concours et que mon master prévoit des simulations/oraux blancs (et que j’en ai faite une ou deux avec des potes), cela signifie qu’en deux ans, j’ai passé onze oraux : cinq l’année dernière et six cette année. Je me suis retrouvée onze fois face à un jury composé de trois personnes dont la mission était de démonter. Pour quelqu’un qui est terrifié par ce genre de situation, chaque oral est une angoisse.

 

L’année dernière, j’ai pleuré à quatre des oraux et cette année, j’ai pleuré aux trois simulations d’oraux. Le pire dans cela ? Je continuais malgré les pleurs. A chaque fois, je me suis retrouvée, assise sur ma chaise, avec les larmes sur les joues et la voix tremblante, en continuant d’essayer de répondre alors que les phrases « tu es nulle », « tu racontes de la merde », « tu es pitoyable » résonnaient encore et encore dans ma tête.

 

Le pire était ma dernière simulation en CSE : je n’avais pas fini l’introduction de mon exposé que je pleurais déjà. Lorsque je suis arrivée à la conclusion, je m’étais effondrée deux fois de plus. A la fin de l’entretien, je m’étais effondrée encore trois fois. En trente-cinq minutes, je me suis retrouvée à six reprises en train de pleurer, les mains sur les yeux pour essayer de stopper les larmes en me disant que je n’y arriverai pas. Six fois en trente-cinq minutes. Je me sentais absolument pitoyable. La moitié des gens de ma classe avait les larmes aux yeux tellement ils se sentaient mal pour moi.

 

Vous êtes dure à mâcher

 

Et là, le prof a dit quelque chose auquel je ne m’attendais absolument pas : « Vous êtes dure à mâcher ». Cela vous paraît compréhensible ? Le prof a continué :

« Vous dites des trucs cohérents, votre plan se tient, vous dégagez une éthique, vous êtes convaincue parce que vous dites. Votre problème, c’est que vous n’êtes pas assez indulgente avec vous même : vous démontez votre prestation au lieu de laisser le jury s’en charger et de vous défendre. Vous effondrez, oui, vous pleurez, oui, mais vous restez accrochez, la posture ouverte. Vous êtes là, en train de pleurer mais vous refuser de lâcher le morceau. Vous restez accrochée jusqu’au bout. Vous êtes dure à mâcher. » 

 

C’est vrai. C’est entièrement vrai : j’ai tenu jusqu’au bout alors que j’aurai pu véritablement craquer. J’aurai pu dire stop ou me lever et sortir de la pièce. Cela aurait terminé la simulation, sans histoire. Contrairement aux véritables oraux, j’aurai pu arrêter la simulation quand je le souhaitais. Si je l’avais vécu comme spectatrice, je crois bien que je m’y serais attendue, que je l’aurait même souhaité, que la candidate stoppe, abandonne. Une de mes camarades l’avait fait la semaine précédente. Pourtant, je ne l’ai pas fait. J’ai continué.

 

Pour être honnête, que ce soit à cet oral ou à tous les autres, je n’y ai pas pensé. J’étais dedans, en larmes, à bout, mais sans jamais envisager qu’il me suffirait de me lever et de sortir pour que cela s’arrête. Dans un sens, je suis un bon petit soldat qui continue jusqu’à ce que l’on lui dise stop. Je n’envisage pas l’abandon. C’est effrayant parce que cela signifie que quelque part, je suis tellement terrifiée par l’échec que je préfère que d’autres le déclarent pour moi. Sinon, je continue sur ma lancée, peu importe comment je me sens.

 

courage

Dans un autre sens, cela implique une résistance. Je n’abandonne pas. Malgré le sentiment d’échec, les larmes et l’impuissance, je continue. Je n’envisage même pas l’abandon.

 Cela signifie que, comme l’a dit mon prof, je suis dure à mâcher. Je continue en rampant quand je pourrais abandonner. Dans ce cas, je suis bien plus solide que je ne l’imagine. Non, je suis bien plus forte que je ne le crois. C’est mon esprit qui me croit faible. En réalité, je suis forte. Bien plus forte que je pense l’être.

Il m’a seulement fallut vingt-six ans pour m’en rendre compte. Maintenant, il va falloir que je me l’enfonce dans le crâne.

 

 

Mlle Samovar

 

 

 

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